L’analogie à Matrix des frères Wachowski
Cette dichotomie — marxienne, finalement, car elle fait directement référence à l’aliénation de l’Homme au travail, le constat de Marx dans le Capital — est représentée dans Matrix par une opposition radicale entre deux sociétés : Sion, le petit monde libre des humains reclus dans les entrailles de la Terre et le monde des machines qui en ont envahi la surface, les deux se faisant la guerre. Entre ces deux sphères concentriques se trouve la majorité de l’humanité, cultivée par les machines dans le but d’en récupérer l’énergie électrique, lesquelles machines injectent dans les cerveaux de ces humains l’image d’une société que l’Homme a l’illusion d’avoir construite. La matrice, c’est cette représentation sociale du monde logique, cohérent et qui se prête volontiers à une conception imaginaire et donc idéale de la vie humaine — la caverne de Platon, en quelque sorte —, mais en réalité entièrement sous le contrôle des machines. Se libérer des machines — ou se déconnecter de la matrice — c’est donc en fait critiquer la raison hégélienne, l’implacable logique comme l’on fait Kant, Marx et plus tard Foucault, Deleuze, Derrida ou Martín-Barbero.
De nombreux cinéphiles et quelques philosophes ont longtemps reproché aux frères Wachowski la conclusion de la trilogie Matrix où on voit Néo — l’Élu, selon le prophète Morpheüs — dans une position particulièrement christique, anéantir à lui seul le monde des machines en injectant son esprit libre — donc irrationnel — dans le siège de l’intelligence artificielle — donc rationnelle — qui gouverne le monde réel. On pourrait en effet penser que la voie qui consiste à croire en Néo est celle qui mène vers la liberté.