Lorsque les réseaux sociaux n’ont plus d’utilité…

Ce post fait référence d’abord à l’émission Place de la toile du 1er octobre 2011, produite et animée par Xavier de la Porte sur France-Culture, lequel blogue son commentaire hebdomadaire sur un artéfact (livre, article, vidéo…) qui a lu, vu ou entendu.
Cette semaine, il s’agissait en l’occurrence d’un article de A.G. Sulzberger titré « Dans les petites villes, les rumeurs qui circulent sur le web deviennent nocives » publié dans le New York Times du 19 septembre 2011. L’article fait en effet référence aux fâcheuses conséquences qu’ont eu la mauvaise utilisation (diffamation et calomnies anonymes) d’un forum communautaire dans la petite ville américaine de Mountain Grove (5000 hab.).

Xavier de la Porte commente par ailleurs cet article ici. Le texte ci-dessous est donc en quelque sorte une réécriture du commentaire que j’ai posté sur son blog Internet Actu.

Jennifer James, l’une des victimes des ragots transportés par le forum communautaire de Mountain Grove (Mo) — Photo de Steve Hebert pour le New York Times

L’article de Sulzberger semble créer en effet un certain émoi — un tant soit peu extrapolé — alors qu’il devrait plutôt nous faire réfléchir. D’aucuns diront qu’il s’agit une fois de plus d’une attaque contre la liberté d’expression tout azimut qui doit régner sur internet. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’une piste de réflexion vers ce à quoi servent les innovations (au sens sociologique du terme) et en l’occurrence ici les forums et/ou les réseaux sociaux.
Avant de s’emporter et de sauter sur ses grands chevaux, il serait sans doute recommandable d’allez fouiller un peu dans les rayons des biblitohèques universitaires de sciences humaines (sociologie, psycho, ethno…) qui regorgent de mémoires, de thèses et d’études sur les cultures populaires rurales et qui mettent en évidence, de façon directe ou indirecte, des phénomènes de rumeurs qui, lorsqu’ils enflent dans de petits espaces, génèrent des drames, comme ceux qu’a observé Sulzberger.
On peut difficilement reprocher à ce journaliste d’avoir pris la peine d’interviewer Christian Sandwig, chercheur à Urbana dans l’Illinois, histoire d’éclairer les comportements divers et variés — mais quand même pas géniaux — de la petite ville de Mountain Grove. Quand on est journaliste au NYT et qu’on va chercher le point de vue d’un universitaire comme Sandvig, réputé pour ses prises de positions plutôt libérales quant à l’intégration des nouvelles technologies dans l’éducation pour qu’elles deviennent des outils à part entière dans notre vie quotidienne, je ne pense pas que la démarche soit « néophobe », comme on peut le lire.
Le problème qui est posé est ce qu’on fait des comportements humains y compris les plus séculiers, orduriers ou non, à l’heure où les vecteurs de communication publique se transforment et se multiplient de façon exponentielle.
Le propos n’est pas de dire « Internet, c’est mal, donc on bloque tout », mais peut-être de réfléchir aux outils — techniques, éthiques, moraux, sociaux… — qui manquent à n’importe quel citoyen. Il est évident que les sphères rurales et urbaines ne partagent pas les mêmes valeurs d’usage, en ce qui concerne la communication. Déjà parce que cette notion de l’anonymat disparaît dans les petites villes (voir le commentaire de Zaapataa, en fin de blog de Xavier de la Porte). C’est d’autant plus vrai en Amérique du Nord et encore plus aux États-Unis où le communautarisme est si développé dans les milieux ruraux qu’il est devenu une condition de survie sine qua non à ces macrosociétés qui priorisent une vie de tous les jours à l’échelle humaine.
Regardons par ailleurs les choses dans l’autre sens : la solidarité entre les individus n’est pas une chose courante dans les grandes villes où règne l’anonymat. Les réseaux sociaux et les forums, pour le coup, viennent combler ce vide et jouent un rôle de lien social. En cela, ce sont plutôt les arguments de Topix, la société qui hébergent le forum local de Mountain Grove, qui sont contestables en se dégageant de toute responsabilité de diffamation et en se protégeant derrière le premier amendement de la constitution américaine.
Je crois au contraire que cet article du NYT soulève de vrais problèmes de société où les innovations sont toujours assorties d’un mode d’emploi — trop ? — standard qui ne tient pas compte des catégories d’usagers vers lesquelles ces nouveautés sont destinées.

Extensions de l’Homme et innovations

La lecture de ces deux textes de Madeleine Akrich [1] et de James Carey [2] n’a pas cessé de me renvoyer à mes propres modes d’appropriation des objets — souvent électroniques — que je choisis de faire entrer dans mon univers quotidien. Qu’il s’agisse d’un téléphone intelligent, d’une tablette tactile, d’un ordinateur portable, d’un appareil-photo numérique, ma réflexion avant achat et qui doit me mener vers une décision ne se fait jamais en termes de besoins, mais en termes de possibilités supplémentaires à celles dont je dispose au moment où je produis cette analyse.
De ce point de vue, McLuhan m’a très bien compris : par l’acquisition d’objets de plus en plus communicants et de plus en plus perfectionnés, je cherche en fait à prolonger mon emprise sur le monde, à allonger mes capacités de capture et de production, à intégrer et à pérenniser mon existence dans le village global.
Néanmoins, j’ai beau être un adepte des nouvelles technologies et éprouver un certain plaisir à les découvrir et à faire fonctionner ces nouvelles extensions de mon corps, je ne les conserve pas toutes. Bien au contraire, je sélectionne. Et je deviens par ailleurs de plus en plus exigeant.
De ce point de vue, c’est Madeleine Akrich qui m’a très bien compris : l’utilisation de mes extensions doit désormais être en adéquation avec ma culture, mon environnement quotidien, ce que les chroniqueurs de blogues technos appellent « l’utilisation intuitive ». Mon appropriation des objets est directement dépendante de ce paramètre qui tient compte des différents contextes que traversent ces objets, « de la conception à l’action », comme le titre l’auteure.
Pour illustrer mon propos, une anecdote personnelle me vient à l’esprit. Grand consommateur de magazines culturels — et souffrant également d’un mal fou à jeter des collections entières de ces numéros plus beaux les uns que les autres — j’ai immédiatement vu, dans la l’annonce commerciale de l’iPad, une solution à ce que je n’avais jamais identifié jusqu’alors comme un problème : la multiplication de ces piles de magazines qui soudainement empiétaient sur mon espace de vie. Certes, l’écran trop petit de mon téléphone (un iPhone) ne m’avait jamais convaincu d’effectuer la moindre lecture qui dépassait une vingtaine de lignes. L’écran plus large de l’iPad semblait donc mieux s’adapter à cette fonction. L’utilité première que je cherchais à attribuer virtuellement à ma future tablette commençait donc à se transformer en besoin. Il existait par ailleurs d’autres objets similaires sur le marché dont l’unique fonction, justement, était de proposer la lecture de documents électroniques (livres, revues, textes en PDF…). Mais elles ne m’ont jamais attiré.
L’honnêteté me pousse à reconnaître aujourd’hui que ces tablettes-là, plus simples dans leurs fonctions, mais répondant malgré tout à mes nouveaux besoins, ne comblaient pas en fait mes désirs inconscients d’extensions à mon corps. La tablette d’Apple, à l’époque, était la seule à proposer d’autres extensions du corps : la gestion d’emploi du temps et des courriels, le divertissement par les jeux ou le visionnage de vidéos… des actions que je réalisais pourtant déjà sur mon ordinateur portable, mais pas avec la même mobilité. Ce nouvel objet n’allait pas changer le sens de mes actes comme envoyer un courriel ou noter un rendez-vous, par exemple. Il allait en revanche enrichir mon environnement personnel de nouveaux comportements, de nouvelles attitudes, au point de devenir effectivement une extension de mon être, comme l’interprète McLuhan. Mieux encore : j’arrivais en fait à préfigurer ces nouveaux actes sur une tablette avant même de l’utiliser au point d’éprouver une certaine empathie à les exécuter.
Il faut dire que l’iPhone avait en fait déjà ouvert la voie : un écran tactile dont le seul bouton physique sert à activer, annuler, sortir, revenir au début… bref, se sortir de la moindre mauvaise manipulation, qu’on soit « fautif » ou non, faisait tomber de nombreux hermétismes technologiques que les sociétés industrialisées continuent d’héberger aujourd’hui. En ces termes, l’iPhone et le contexte socioculturel qu’il a créé pendant ses années de commercialisation constituent un élément essentiel de cette « voie de passage » (Akrich, 1993) qui existe entre la conception de l’iPad et son utilisation.
Mais je dois aussi reconnaître que la multiplication de mes extensions cybernétiques me procure une sensation grandissante, le sentiment d’une maîtrise accrue du monde qui m’entoure. Je le répète, il ne s’agit que d’une émotion. Et je suis rassuré également de savoir qu’une certaine éthique guide mes comportements et m’évite de verser dans l’irrationnel. Toutefois, cette sensation désormais à la portée de n’importe quel individu qui veut s’en donner les moyens intellectuels paraît si évidente qu’elle effraie, et on peut le comprendre, ceux qui veulent voir dans l’innovation la seule expression d’un progrès scientifique et technologique, comme le souligne James Carey dans son article (1999).
Car même si l’objet communicant a un avenir assuré dans les sociétés postindustrielles, il a aussi le gros défaut de déshumaniser l’acte simple et social de communication et de créer aussi des réseaux qui échappent à tout contrôle humain. Ce qui justifie d’autant plus les craintes énumérées par Carey.

[1]Akrich, Madeleine. 1993. Les objets techniques et leurs utilisateurs, de la conception à l’action.Raisons Pratiques, no4 : pp. 33-57.
[2] Carey, James-W. 1999. « McLuhan : généalogie et descendance d’un paradigme ». Trad. Pascal Durand. Quaderni, no 37 : pp. 110-131.

Le Devoir | Google+, le grain de sable dans le monopole des réseaux sociaux

Cet article paru dans Le Devoir d’aujourd’hui m’inspire une chose : la guerre des réseaux sociaux enfle avec, en toile de fond, la constitution de groupes de cibles marketing on ne peut plus intéressantes pour les sociétés qui veulent y accéder. Zuckerberg et ses petits copains — qui s’agacent entre eux — peuvent promettre SANS MENTIR qu’ils ne vendront jamais le contenu de leurs réseaux. L’inverse reviendrait à vendre sa mine d’or plutôt que l’or lui-même. Autant se tirer une balle dans le pied.
Les réseaux sociaux vendent un accès personnalisé à leurs données, mais ne donnent pas accès aux données identitaires qui, elles, resteront anonymes. C’est tout l’intérêt commercial de Google+, de Facebook et des autres statisticiens du marché permanent qui a lieu 7/7-24/24 sur la place centrale du Village global.
Salut Marshall (McLuhan), tu vas bien ?

Souvenirs d’un début de convergence

Billet relatif au module #4

Relier les informations entre elles… Quel journaliste n’en a jamais rêvé ? Il se trouve que j’ai eu la chance de venir faire mes études au Canada bien avant de venir contempler les graffitis des murs des souterrains de l’université Laval. C’était au début des années 1990 à l’université de Moncton (N.-B.). Pour l’étudiant au bac en Info/Com que j’étais, l’année était on ne peut plus riche sur le plan international : après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, les États-Unis décidaient finalement d’intervenir militairement en Irak au début de l’année 1991.

L’informatisation de l’université de Moncton était déjà bien avancée. Certaines facultés commençaient même à exiger des étudiants que leurs travaux soient rédigés à l’aide traitement de texte. Le décalage était énorme pour moi, fraîchement débarqué de France, où les ordinateurs dans les universités ne servaient qu’à faire des calculs ou modéliser des objets en deux dimensions. Il faut néanmoins préciser que je venais de l’univers des sciences dites « exactes », à l’époque, seul « royaume » où les ordinateurs avaient un rôle.
Je me souviens aussi qu’on utilisait Windows 3.0 qu’il fallait lancer en tapant une commande… MS-DOS ! On avait alors accès à une petite batterie de logiciels bien plus graphiques qu’habituellement dont un traitement de texte qui tentait de montrer à l’écran ce qu’il allait imprimer, après quelques semaines de domptage, il faut bien l’avouer.
Parallèlement, je me souviendrai toujours de Bernard Derome, le premier soir de l’intervention américaine dans le Golfe, le 16 janvier 1991, qui nous répétait inlassablement « on est en guerre » (Société Radio-Canada, 1991). Je me souviens de tout cela, car, moi et mon pote Martin, suivions avec attention chaque minute diffusée sur Radio-Canada en même temps que nous travaillions sur les ordinateurs de la faculté des arts. On avait même eu un petit privilège de la part du Centre de calcul de l’Université : l’accès à un réseau interuniversitaire.
Sans qu’on soit vraiment conscient de la portée de cette nouveauté, on nous avait attribué une adresse électronique qui permettait, entre autres possibilités, de s’abonner à des listes de discussions ou des forums, des carrefours déjà virtuels où s’échangeaient des récits édifiants sur le quotidien de la guerre du Golfe. Les auteurs de ces textes étaient israéliens, libanais, égyptiens, jordaniens, irakiens… On avait l’impression de vivre en temps réel ce qu’ils nous racontaient : les missiles qui passaient au-dessus de leurs têtes, les explosions, les tirs… Nous découvrions, le lendemain seulement, à la télévision ou dans la presse, les images de ce que nous avions lu la veille au soir sur les écrans de nos ordinateurs. Jamais l’information n’avait été aussi rapide et surtout « gratuite », car elle ne nécessitait pas d’abonnement — très coûteux — aux téléscripteurs des agences de presse de l’époque que seuls de grands médias pouvaient s’offrir.
Néanmoins, le manque de transparence de ces nouvelles sources d’informations nous posait déjà un problème de traçabilité.
Je suis rentré en France en 1994. Internet, encore fantasmé dans notre quotidien sous l’appellation « autoroute de l’information », n’arrivait que dans quelques sphères privilégiées. J’ai dû patienter trois ans pour m’offrir mon premier accès analogique à internet depuis mon domicile. J’étais alors pigiste et je travaillais pour le compte de plusieurs médias de presse écrite. Le web me permettait d’accéder à certaines bases de données, ce qui me faisait gagner un temps précieux lorsqu’on est journaliste indépendant et donc autogéré.
Un jour, un journal régional anglais m’appelle pour me commander un papier sur les enjeux des laboratoires de déchets radioactifs, dossier que je suivais pour le quotidien Aujourd’hui en France. Il y avait une petite surprise technologique à la clef : pour la première fois, je devais envoyer mon papier par courriel pour publication le lendemain — il allait être traduit dans la nuit. Je me souviens avoir été amusé par la situation : la veille, j’avais dicté au téléphone le même article à ma rédaction parisienne qui ne l’avait toujours pas publié…

Entre Bagdad et Moncton en 1991, la distance avait été effectuée en une fraction de seconde comme cela était alors possible entre Londres et Paris, en 1997. Je pense que j’ai fait un rapprochement entre ces deux faits, parce qu’ils avaient le même fond. Je me rendais compte que le lieu d’où on émettait et celui où on pouvait recevoir n’avaient plus vraiment d’importance. Qu’ils soient proches ou éloignés, l’information transmise entre ces deux points restait la même sur le fond et surtout sur la forme, car il n’y avait plus de dégradation de la qualité du message.
Pour l’internaute technophile insatiable que j’étais alors — et que je suis toujours —, le début des années 2000 aura été pour moi « la décennie de tous les possibles », parfois au grand désespoir de mon portefeuille. Entre les assistants numériques personnels (PDA), les téléphones intelligents, la miniaturisation des unités de stockage de données (mémoires flash et disques durs), les ordinateurs portables et les appareils photo numériques, mon obsession quotidienne était, bien évidemment, que tout ce petit monde se comprenne mutuellement pour s’insérer dans le village international désormais à portée d’esprit. Dans mes fantasmes effrénés de geek, je rêvais à l’objet unique capable de… « tout » !
Mais j’ai dû me rendre à l’évidence.

« Disposerons-nous, chacun, d’un terminal unique, universel, simplement parce que c’est techniquement possible ? Son arrivée sur le marché est très peu probable, en raison précisément de la multiplicité des services et du poids des habitudes ou, plus simplement, de celui de la commodité d’usage. Les terminaux, demain, seront peut-être polyvalents, pour quelques-uns d’entre eux : les plus nombreux seront dédiés à une fonction, voire à deux seulement. » (Balle, 2009: 216)

À juste titre, je me retrouve aujourd’hui avec une panoplie de iBidules et de net.trucs qui communiquent tous entre eux. Est-ce vraiment utile ? Ça ne regarde que moi.
Bibliographie
Balle, Francis. 2009. Médias & sociétés, (14ème édition). Paris : Montchrestien, Lextenso éditions. 833 p.
Société Radio-Canada. (1991, mise à jour le 7 mars 2008). La guerre du Golfe éclate. Les Archives de Radio-Canada. URL : http://archives.radio-canada.ca/guerres_conflits/conflits_moyen_orient/clips/1051/ (consulté le 5 février 2011)

Vie / réseau public(que) / privé(e)… Quelle(s) limite(s) ?

Billet relatif à l’ouverture du blog

Dans Le rat des villes et le rat des champs, Jean de la Fontaine distinguait déjà au 17ème siècle un décalage entre vie rurale et vie urbaine. L’agitation de la ville vient, en effet dans cette fable, perturber le repas des deux rongeurs ce qui indispose le rat des champs habitué à une certaine quiétude quotidienne. Ce distinguo rural / urbain se retrouve dans la thèse que développe Philipp McCann (2003) : le village global se serait plus développé à la faveur des villes et donc au détriment les villages. Or, sept ans plus tard, cet écart semblerait bien s’amenuiser.

Côté vie privée, en ville ou à la campagne, il n’existe pas une journée sans l’utilisation d’une de ces technologies d’information : payer ce qu’on achète avec une carte de débit, se déplacer en utilisant un GPS dans un transport privé ou utiliser une carte à puce pour accéder aux transports en commun, téléphoner, envoyer un mail, écouter la radio, regarder la télévision…

Quant à notre vie publique et/ou professionnelle, elle est intimement liée à ces mêmes technologies : effectuer des recherches sur la toile, utiliser les outils bureautiques ou une machine qui transmet ses données à un ordinateur, téléphoner avec ou sans fil, twitter… Il est difficile, voire impossible de ne pas utiliser ces modes de communications de plus en plus automatisés et donc de plus en plus invisibles pour notre conscient. Même les métiers les plus manuels, ceux de l’agriculture ainsi que ceux de l’éducation en milieu rural se servent de ces outils parce qu’ils sont aussi rapides qu’en milieu urbain. Les acteurs sociaux et économiques de la vie rurale sont désormais plus en phase avec la sphère politique de laquelle ils dépendent, la même qui gouverne et gère les cités.

D’une manière générale donc, l’entreprise ou l’organisation, publique ou privée, qui souhaite progresser financièrement ou socialement s’adaptera forcément aux moyens de communication les plus contemporains et même émergents. Ainsi, elle obligera forcément ceux qui travaillent pour elle à utiliser un ensemble d’outils minutieusement sélectionnés.

Par ailleurs, cette bulle technologique évolue et fait évoluer nos pratiques professionnelles : on simplifie, on réduit le nombre de gestes, on en génère de nouveaux et on va jusqu’à privilégier la qualité intrinsèque de chacun d’entre eux. On tend, en somme, vers une meilleure efficacité / productivité. Or, pour rester au service de l’homo sapiens, le travail confié à ces machines de plus en plus perfectionnées ne peut pas se faire sans communication : d’abord entre elles-mêmes puis entre elles et l’Homme.

De ce fait, les moyens de communication, d’autant plus depuis l’avènement de l’internet ces vingt dernières années, n’ont jamais été aussi pléthoriques. Cette (sur)abondance de médias/messages est arrivée à un point tel qu’ils constituent aujourd’hui des enjeux politiques internationaux déterminants. L’actualité nous le confirme chaque jour : les objectifs de Wikileaks, la censure du net dans les pays totalitaires, les ambitions mondialistes de l’archivage selon Google ou encore celles, plus énigmatiques, de Mark Zuckerberg (créateur et co-dirigeant de Facebook) à la tête d’une des plus gigantesques bases de données de la vie privée, voire très privée, des Terriens.

D’un point de vue économique et politique, les faits vont encore plus loin. À titre d’illustration, il suffit d’observer le cours de l’action Apple flancher lorsque Steve Jobs, le charismatique patron de la célèbre pomme de Cupertino, prend un congé pour de très sérieuses raisons de santé. Le Nasdaq suit le mouvement et la bourse en subit les conséquences. La vie d’un PDG d’une entreprise qui fabrique du matériel pour informer et communiquer est devenue aussi importante que celle d’un chef d’État.

Voilà un paradoxe qui demande à chacun de penser sa place dans le « village global » qui forge et donc détermine nos sociétés au même titre que l’économie, la politique, l’écologie… Et comme tout domaine d’influence, il comporte ses dangers, son paroxysme malfaisant, comme tente de le dénoncer The Big Brother State (2007), petit clip fabriqué par David Scharf, artiste graphiste et réalisateur de films d’animation.

Dans un registre identique mais plus universitaire, Eric Sadin dans Surveillance globale (2009) dépeint une société de demain dans laquelle le vaste réseau global qui nous connecte les uns aux autres — ainsi qu’aux machines — promet des lendemains quasi-orwelliens, pour poursuivre la métaphore du Big Brother de David Scharf. Et il explique pourquoi, dans une interview qu’il donne au magazine Chronic’art (De Graeve, 2009) :

« Le cœur de la surveillance contemporaine consiste dans la récolte et l’analyse des données (dont la vidéosurveillance fournit une part importante mais relative – puisque les images saisies produisent désormais des codes numériques). Le plus grand volume des données provient des navigations Internet, des communications, des achats par cartes de crédits, des informations produites par nos déplacements, nos actes médicaux, nos fiches d’impositions. Aussi via toute une série d’actes d’exhibition de soi, effectués sur les blogs, ou les sites dits de « réseaux sociaux », qui représentent de nouvelles sources appelées à informer la cartographie globalisée et individualisée des êtres de la planète, et ce grâce à des informations délibérément exposées aux yeux de tous et généralement librement accessibles. »

Rien ne nous oblige à partager le pessimisme de Sadin mais on comprend qu’il est difficile de se soustraire au rôle déterminant que jouent les technologies de l’information dans nos sociétés urbaines.


Bibliographie




De Graeve, Cyril. 9 mars 2009. « Eric Sadin : self control ». In Chronicart.comhttp://www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1527. Consulté le 20 janvier 2011.
McCann, Phillip. 2003. « Global Village or Global City? The (Urban) Communications Revolution and Education », Paedagogica Historica, Volume 39, N° 1/2. pp. 165 — 178
Sadin, Éric. 2009. Surveillance globale : enquête sur les nouvelles formes de contrôle. Paris : Climats. 234 p.